Une descente au long cours...
Longeant la Loire de sa source à son estuaire, entre le Mont Gerbier-de-Jonc et Saint-Nazaire, j’ai marché 1100km en solo, suivant les balises du GR®3.
Habituée des chemins de Compostelle, j'ai eu récemment envie de vivre une nouvelle expérience d'itinérance à pied, quelque peu différente de celles que je connaissais déjà : suivre un chemin de grande randonnée dans sa totalité, et ainsi renouer avec un mode de voyage lent, où sobriété et contemplation sont les maîtres-mots. Étant originaire d'Orléans, mais vivant sur la route depuis sept ans, c'est bien évidemment le GR®3 qui m'a appelée, comme une évidence, et surtout comme un retour aux sources. Je suis donc partie tout l'été, et j'ai déambulé en suivant les méandres du fleuve royal durant quarante-quatre jours. Du Mont Gerbier-de-Jonc à Saint-Nazaire, j'ai eu le plaisir de m'émerveiller quotidiennement, face à la Loire qui, pas après pas, a accepté de dévoiler sous mes yeux d'enfant bon nombre de ses secrets...
Pour tout vous dire, avant mon départ, j'imaginais que mon voyage allait être un long fleuve tranquille, à l'image de la Loire qui peut paraître si calme et docile... mais qui cache bien son jeu ! C'était en effet très mal connaître ce cours d'eau qui, sauvage et mystérieux, allait me réserver tout un lot de surprises. Pour commencer, j'ai débuté mon aventure au sommet du Mont Gerbier, qui culmine à 1551m d'altitude, ni plus ni moins. S'en suivirent deux ou trois semaines de marche avec pour unique objectif celui de redescendre l'après-midi toute la déclivité que j'avais péniblement gravie le matin : autant vous dire que mon rêve de me la couler douce tout l'été s'est très vite envolé, dès les premières dizaines de kilomètres. Pour autant, cela ne m'a pas empêchée de profiter pleinement de cette expérience magique et ce ne sont ni les ampoules, ni les courbatures, ni la canicule estivale qui ne seront parvenues à entacher mon sentiment de gratitude envers le simple fait d'être là, à cet instant précis.
Outre la grande liberté que procure la marche, et l'intense plénitude que connaît sûrement tout randonneur, c'est probablement l'immense diversité des paysages qui m'aura le plus séduite : du massif escarpé auvergnat aux vignes angevines, en passant par les bocages saônois ou encore par les grands espaces loirétains, j'ai été littéralement fascinée du premier au dernier jour de mon périple. Et ce sans évoquer la multitude de prouesses architecturales qui jalonnent les rives ligériennes d'un bout à l'autre du pays, et pas uniquement au sein Val de Loire (châteaux, mais également de nombreux édifices classés, comme des églises ou des manoirs). C'est cependant la vie sauvage inhérente à la Loire qui m'a permis de décupler mon amour pour ce fleuve unique au monde. Aigrettes, hérons, ragondins, castors, chevreuils, et toutes sortes de bipèdes ou quadrupèdes, ont apporté à ma lente pérégrination une large part de bonheur ! Je dois reconnaître que, bien qu'ayant reçu la visite d'une poignée d'amis, j'ai voyagé seule et sous tente durant près d'un mois et demi : les nombreux animaux rencontrés en chemin ont donc été pour moi une précieuse compagnie. Quant aux humains, j'ai été étonnée de ne croiser aucun randonneur avant Nevers - et très peu par la suite. Ce sont surtout les cyclistes, longeant le parcours balisé de la Loire à vélo à partir d'Orléans/Tours jusqu'à Nantes, qui m'ont permis de vivre d'agréables pauses-café, sur une table de pique-nique ici ou là.
Seule déception peut-être, vécue sur le GR®3 : la vitesse à laquelle le sablier du temps s'est désempli. Tout juste arrivée à La Baule, les yeux rivés sur l'océan, j'ai eu la véritable impression d'être partie seulement la veille, depuis les monts d’Ardèche. On croit souvent que l'ennui et la lassitude guettent les pèlerins au long cours, mais laissez-moi vous dire qu'il n'en est rien. Lorsque l'on marche du matin au soir, et même lorsque le nombre de kilomètres à parcourir nous paraît irréalisable, le chemin restant semble tous les soirs de plus en plus court et le temps, incorruptible et fugace, file entre nos doigts et à notre insu. Arpenter un pays kilomètre après kilomètre, respirer ses parfums et admirer ses courbes, ressentir ses craquelures et percevoir certains de ses secrets, est une chance inestimable, notamment dans le monde actuel où tout doit aller toujours plus vite.
Cet été, j'ai traversé la France à pied, et je me suis offert le luxe de prendre mon temps. J'ai suivi la Loire, et je l'ai accompagnée tandis qu'elle déroulait son long ruban bleu à travers l'hexagone. Je me suis délectée pleinement de chaque minute, même les plus difficiles, et si c'était à refaire, je ne changerais rien : je tomberais dans les mêmes pièges du chemin, j'emporterais ces quelques affaires de trop dans mon sac, je souffrirais des mêmes ampoules de fatigue, je prendrais la pluie encore et encore, et je me perdrais aux mêmes bifurcations du sentier et dans les mêmes méandres de ma pensée. Un voyage idéal se doit d'être imparfait sans quoi la routine, aussi assommante qu'insipide, nous ôterait cette petite flamme, qui illumine les yeux de tout vagabond bienheureux. Le GR®3 n'est pas seulement une voie de grande randonnée : c'est avant tout un chemin exceptionnel qui relie, de balise en balise, un patrimoine naturel unique avec un peu de l'Histoire de France. Et pour nous, Loirétains, qui sommes nés près des berges du fleuve, c'est un peu de notre âme que le sentier perce, avec beaucoup de chaleur et de justesse.
Astrid Duvillard
Du blog www.histoiresdetongs.com